78.

Peu après minuit, le 18 décembre, le colonel Hudson s’adressa avec émotion aux vingt-quatre vétérans réunis dans le dépôt de Jane Street :

— Cette mission a été longue et particulièrement éprouvante. Je le sais. Mais, à chaque étape importante, vous avez fait scrupuleusement ce qu’on attendait de vous… (Il s’interrompit et observa les visages immobiles tournés vers lui.) Maintenant que nous approchons des phases ultimes de l’opération Green Band, j’aimerais insister sur un point : je tiens à ce que personne ne prenne de risques inutiles. Est-ce bien compris ? Ne laissez rien au hasard. Notre objectif final à partir de maintenant est le suivant : zéro tué au combat. (Hudson marqua une autre pause. Quand il reprit enfin la parole, sa voix était empreinte d’une émotion palpable :) Ce sera notre dernière mission ensemble. Encore une fois merci. Merci à tous.

Les portes sales du dépôt des taxis et coursiers Vétérans s’ouvrirent dans un vacarme métallique. La lueur orange diffuse des phares illumina soudain l’obscurité.

Vétéran 5, Harold Freedman, sortit en courant dans la rue. Il regarda à droite puis à gauche dans Jane Street et se mit à aboyer des ordres à la manière du sergent instructeur qu’il avait jadis été.

Il était tout juste minuit et demi passé.

Si quelqu’un dans ce quartier du West Village vit trois camions de transport de troupes de l’armée sortir du garage, il ne s’en vanta jamais – l’indifférence typique des New-Yorkais.

Les camions remontèrent en trombe la Dixième Avenue.

Installé du côté passager dans le véhicule de tête, Hudson se pencha en avant. Il était en contact permanent par talkie-walkie avec les deux autres camions.

Ils retournaient au combat. Aucun d’entre eux n’avait réalisé à quel point cela leur manquait. Même Hudson avait été surpris de retrouver cette lucidité que l’on éprouvait avant une bataille capitale. Il n’y avait rien d’équivalent dans la vie ; rien n’était comparable à cela.

— Contact. Ici Vétéran 1. Vous devez continuer tout droit sur la Dixième Avenue jusqu’à l’entrée de Holland Tunnel. Nous nous conformerons en ville strictement aux limites de vitesse militaires. Alors installez-vous confortablement et profitez du trajet pour vous détendre. Terminé.

Deux heures s’étaient écoulées lorsque le camion à la tête du convoi s’arrêta en trépidant devant un poste de garde de l’armée, à moins de soixante mètres de la sortie de la Route 34, dans le New Jersey.

Au-dessus de la guérite, un panneau indiquait : FORT MONMOUTH, ARMÉE AMÉRICAINE.

Le soldat de garde était manifestement à deux doigts de s’endormir. Il avait les yeux vitreux, derrière ses lunettes à monture d’écaillé, et ses mouvements, quand il s’approcha du premier véhicule, étaient plutôt raides.

— Vos papiers, colonel.

Le soldat s’éclaircit la gorge. Hudson lui donnait à peine plus de dix-huit ans. Réminiscences du Vietnam, fantômes de jeunes garçons au combat.

Il lui tendit deux cartes d’identité en plastique, qui l’identifiaient comme étant le colonel Roger McAfee, de l’arsenal de la 68e Rue Manhattan. Le jeune factionnaire procéda alors à une inspection dans les règles puis il leur débita le speech ordinaire du soldat de garde :

— Vous pouvez passer, colonel. Pendant votre visite à Fort Monmouth, je vous prie de respecter toutes les règles de circulation et de stationnement indiquées. Les véhicules qui vous suivent vous accompagnent-ils, colonel ?

— Oui, nous partons bivouaquer. Nous venons nous approvisionner. En armes légères et en munitions, pour notre week-end à la campagne. Deux hélicoptères ont également été réquisitionnés. Il sont au courant, au ravitaillement. Je dois voir le capitaine Harney.

— Alors, vous pouvez passer, colonel.

La jeune sentinelle s’écarta et fit un petit geste sec autorisant le court convoi de réservistes à avancer.

Dès qu’ils eurent passé la barrière, le colonel Hudson reprit sa radio.

— Contact. Ici Vétéran 1. Nous sommes désormais à moins de douze heures de l’aboutissement de l’opération connue sous le nom de code Green Band. Chacun doit faire preuve d’une prudence extrême, je répète, une prudence extrême. Notre mission touche à sa fin, messieurs.

Vendredi Noir
titlepage.xhtml
vendredi noir_split_000.htm
vendredi noir_split_001.htm
vendredi noir_split_002.htm
vendredi noir_split_003.htm
vendredi noir_split_004.htm
vendredi noir_split_005.htm
vendredi noir_split_006.htm
vendredi noir_split_007.htm
vendredi noir_split_008.htm
vendredi noir_split_009.htm
vendredi noir_split_010.htm
vendredi noir_split_011.htm
vendredi noir_split_012.htm
vendredi noir_split_013.htm
vendredi noir_split_014.htm
vendredi noir_split_015.htm
vendredi noir_split_016.htm
vendredi noir_split_017.htm
vendredi noir_split_018.htm
vendredi noir_split_019.htm
vendredi noir_split_020.htm
vendredi noir_split_021.htm
vendredi noir_split_022.htm
vendredi noir_split_023.htm
vendredi noir_split_024.htm
vendredi noir_split_025.htm
vendredi noir_split_026.htm
vendredi noir_split_027.htm
vendredi noir_split_028.htm
vendredi noir_split_029.htm
vendredi noir_split_030.htm
vendredi noir_split_031.htm
vendredi noir_split_032.htm
vendredi noir_split_033.htm
vendredi noir_split_034.htm
vendredi noir_split_035.htm
vendredi noir_split_036.htm
vendredi noir_split_037.htm
vendredi noir_split_038.htm
vendredi noir_split_039.htm
vendredi noir_split_040.htm
vendredi noir_split_041.htm
vendredi noir_split_042.htm
vendredi noir_split_043.htm
vendredi noir_split_044.htm
vendredi noir_split_045.htm
vendredi noir_split_046.htm
vendredi noir_split_047.htm
vendredi noir_split_048.htm
vendredi noir_split_049.htm
vendredi noir_split_050.htm
vendredi noir_split_051.htm
vendredi noir_split_052.htm
vendredi noir_split_053.htm
vendredi noir_split_054.htm
vendredi noir_split_055.htm
vendredi noir_split_056.htm
vendredi noir_split_057.htm
vendredi noir_split_058.htm
vendredi noir_split_059.htm
vendredi noir_split_060.htm
vendredi noir_split_061.htm
vendredi noir_split_062.htm
vendredi noir_split_063.htm
vendredi noir_split_064.htm
vendredi noir_split_065.htm
vendredi noir_split_066.htm
vendredi noir_split_067.htm
vendredi noir_split_068.htm
vendredi noir_split_069.htm
vendredi noir_split_070.htm
vendredi noir_split_071.htm
vendredi noir_split_072.htm
vendredi noir_split_073.htm
vendredi noir_split_074.htm
vendredi noir_split_075.htm
vendredi noir_split_076.htm
vendredi noir_split_077.htm
vendredi noir_split_078.htm
vendredi noir_split_079.htm
vendredi noir_split_080.htm
vendredi noir_split_081.htm
vendredi noir_split_082.htm
vendredi noir_split_083.htm
vendredi noir_split_084.htm
vendredi noir_split_085.htm
vendredi noir_split_086.htm
vendredi noir_split_087.htm
vendredi noir_split_088.htm
vendredi noir_split_089.htm
vendredi noir_split_090.htm
vendredi noir_split_091.htm
vendredi noir_split_092.htm
vendredi noir_split_093.htm
vendredi noir_split_094.htm
vendredi noir_split_095.htm
vendredi noir_split_096.htm
vendredi noir_split_097.htm
vendredi noir_split_098.htm
vendredi noir_split_099.htm
vendredi noir_split_100.htm
vendredi noir_split_101.htm
vendredi noir_split_102.htm
vendredi noir_split_103.htm
vendredi noir_split_104.htm
vendredi noir_split_105.htm
vendredi noir_split_106.htm
vendredi noir_split_107.htm
vendredi noir_split_108.htm
vendredi noir_split_109.htm
vendredi noir_split_110.htm